Promenade à Matonge
À quelques pas du centre de Bruxelles se trouve Matonge, un quartier principalement habité par des personnes originaires d’Afrique subsaharienne. Coiffeurs, vendeurs de fruits et légumes, restaurateurs, musiciens et professeurs de langue cohabitent ici. Tous ont leurs propres origines et des projets différents, mais c’est ici que leurs histoires se croisent.
Le Nouveau Continental – Décembre 2015
Chez papys, Mimi élégance, Précieuse, Bana Congo et L’étoile d’Afrique. Ces différents coiffeurs sont tous rassemblés au sein d’une même galerie en Belgique, à Bruxelles. Ils constituent ce que l’on pourrait appeler « le cœur de Matonge », quartier africain de la capitale européenne. C’est dans ce lieu que se rassemblent les habitants des environs. Éclairés par de vieux néons, ils se font coiffer en débattant des derniers potins, de leurs projets ou de la situation politique de tel ou tel pays. Presque tous ces salons sont de petite taille, mais remplis de clients. Cela n’empêche pas des coiffeuses de se poster à l’entrée de leur boutique pour y inviter les passants. J’accompagne une amie qui souhaite se faire poser une tresse. Dès qu’elle approche de la boutique, on lui trouve un vieux tabouret et on s’empresse de répondre à sa demande. Le sol est jonché de cheveux et, sur les murs, différents modèles d’extensions capillaires sont exposés.
Cinq minutes plus tard, le souhait de mon amie est exaucé. Elle a eu droit à une belle tresse et à trois perles pour la somme non dérisoire de dix euros.
Nous remercions la coiffeuse et nous apprêtons à quitter la galerie. Juste avant la sortie de ce couloir sombre, quelques peintures aux couleurs vives ont étées posées sur les murs. Elles glorifient Matonge et la “porte de l’amour”. C’est ainsi que les habitants ont rebaptisé la porte de Namur, un carrefour important dans cette partie de Bruxelles.
Quartier de Kinshasa
Ce secteur de la ville porte son nom en référence au quartier Matonge, dans la commune de Kamalu à Kinshasa. À Bruxelles, on y trouve la Maison africaine, aussi appelée « Maisaf ». Ce foyer accueille des étudiants principalement originaires d’Afrique subsaharienne. Selon plusieurs habitants, la maison serait à l’origine de l’établissement de la communauté africaine dans ce quartier. Mais Michelle Nicolay, assistante sociale à la Maisaf ne croit pas vraiment en cette théorie. « La Maison africaine a été fondée en 1961, quelque mois après l’indépendance de la République Démocratique du Congo (appelée Congo Belge à ce moment-là). Au départ, la Maisaf était installée à Saint-Gilles, une autre commune de Bruxelles. Ce n’est qu’en 1970, que nous avons déménagé pour installer le foyer dans ce quartier. Les étudiants ont sans doute facilité l’installation d’une culture et de commerces africains ici, mais je ne pense pas que cela ait un lien direct avec la fondation de Matonge ».
Aujourd’hui, la Maisaf abrite près de 70 étudiants. La majorité d’entre eux vivent dans une chambre individuelle et ont accès à des cuisines et à des douches collectives ainsi qu’à une bibliothèque. « Le montant du loyer varie d’un étudiant à l’autre. Il paiera moins s’il n’est pas boursier ou si sa chambre est plus petite que les autres. Mais toutes charges comprises, le loyer est de maximum 350 euros », explique Michelle Nicolay. « Les habitants de la maison sont majoritairement burundais, camerounais et congolais. Près de vingt nationalités sont représentées à la Maisaf. Cela ne crée pas de tensions particulières. Parfois, des discussions ont lieu entre des ressortissants de pays en guerre, le ton peut monter, mais cela ne dégénère jamais. L’intention n’est jamais mauvaise », précise l’assistante sociale.
Insécurité
Matonge est effectivement un quartier connu pour son aspect cosmopolite. En l’espace de quelques rues, on trouve des ressortissants de tous les coins d’Afrique, mais aussi d’Asie, d’Amérique latine et d’Europe. Dans le passé, cet aspect multiculturel a provoqué des affrontements et des manifestations. Au cours de l’hiver 2011 – 2012, par exemple, le quartier a fait couler beaucoup d’encre dans les médias. Des manifestants en colère ont perturbé l’ordre public. Ils souhaitaient dénoncer la situation en République Démocratique du Congo.
Aujourd’hui, le quartier garde une étiquette de secteur peu sécurisé et de paradis des narcotrafiquants. Pour les habitants, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. « Il n’y a pas plus de drogue ici que dans d’autres quartiers de Bruxelles et la nuit, je me sens en sécurité. Bien plus que dans les stations de métro ou que dans le centre-ville. Et puis, il y a un commissariat installé juste à côté maintenant », explique une habitante. « Ce que j’aime à Matonge, c’est que je me sens en Afrique », confie une nouvelle habitante. « J’aime cet aspect multiculturel et je me sens en sécurité. Mais le problème c’est que les gens d’ici sont hypocrites et jaloux. Souvent ils me mettent des bâtons dans les roues. Nous, les africains, nous ne nous aimons pas entre nous. Nous pourrions créer ensemble quelque chose comme l’Union européenne. Mais tout ce que nous avons fait jusqu’à présent, l’Union africaine, la CEDEAO (Communauté des États d’Afrique de l’Ouest) ne s’avèrent pas très efficaces. Nous parlons avec tout le monde parce que nous sommes commerciaux, mais dans le fond, chacun d’entre nous met des barrières », poursuit-elle.
Un quartier multiculturel
Si la mixité de Matonge peut créer des tensions, elle est aussi considérée comme une grande richesse. Comme aujourd’hui par exemple, où l’hiver s’installe progressivement à Bruxelles et où peu de gens restent dans la rue. Les échoppes de fruits et légumes exotiques se font rares, les vendeuses se terrent au fond des boutiques de Wax et même si les terrasses des cafés et des restaurants sont sorties, elles restent vides. Pourtant, je parviens à trouver quelques courageux qui se sont installés dehors pour boire une bière en fumant une cigarette. C’est à cette table que je rencontre Li, originaire du Sénégal. Il discute en passant de l’anglais au français avec deux amis : Dave, d’origine nigériane et African, de Guinée Conakry.
Li se considère comme le « doyen de la communauté sénégalaise de Matonge ». Cela va faire 46 ans qu’il vit dans le quartier avec sa copine. Après la guerre d’Algérie, il s’est installé à Paris et est venu vivre en Belgique quelques années plus tard. « Ici, tout le monde me connait. J’ai vu le quartier évoluer. Cela ne me plait pas… ». « Le problème de Matonge, c’est que tout le monde considère cet endroit comme un quartier des gens d’en bas », renchérit Dave. « Mais ce n’est pas cela. Matonge n’est pas un ghetto. Selon moi, Matonge est un endroit ou tout le monde est libre. Chacun peut se comporter comme il le souhaite. À Matonge, un chef d’État pourrait se promener librement et profiter pour quelques heures d’une vie normale », explique-t-il.
Aller-Retour
Dave est né au Royaume-Uni sous le nom de Prince Afolabi Dave Obasuyi. Quelques années après sa naissance, ses parents sont retournés vivre au Nigeria. C’est là qu’il a grandi, à Lagos. Après avoir fini ses études, il devint ingénieur. « C’est le travail qui m’a amené en Belgique. Au départ, j’aurais préféré aller à Londres, mais j’ai atterri à Bruxelles. Aujourd’hui, je travaille entre la Belgique et le Royaume-Uni », explique-t-il. « Les premières semaines ici ont été vraiment difficiles. Je n’avais qu’une envie : m’enfuir et retourner au Nigeria. Les Belges ne sont pas comme les Africains. Ils sont renfermés sur eux-mêmes. Personne ne se connait et souvent les gens avaient peur des étrangers. Aujourd’hui, cette tendance a changé et cela s’est amélioré, mais tout de même, ce n’est pas facile tous les jours », explique-t-il. À présent, Dave pense à retourner au Nigeria. Il souhaite se présenter aux élections de 2019. « Je veux vraiment faire changer les choses dans mon pays. J’ai beaucoup d’ambition et je compte y arriver. Je pense que nous pouvons nous entendre tous ensemble et arriver à faire de grandes choses au Nigeria, qui profiteraient à tous les citoyens », déclare-t-il.
Tampons pour toutes les femmes
Dans un restaurant non loin de là, à La signare, Nancy, la propriétaire, ne manque pas non plus d’ambition. Originaire du Sénégal, elle est arrivée en Belgique il y a près de quatre ans.
Aujourd’hui, Nancy a créé une association sans but lucratif avec deux femmes belges. L’objectif de leur fondation « Tampon pour toutes les femmes » est de distribuer des serviettes hygiéniques et des tampons dans les prisons pour femmes en Afrique et pourquoi pas, un jour, en Amérique latine. « Au départ j’envoyais chaque année de l’argent à mon oncle qui est régisseur dans des prisons sénégalaises. Aujourd’hui, je veux aller moi même distribuer les protections hygiéniques dans les prisons. J’ai donc un stock de tampons qui est en train de s’accumuler dans ma cave. Quand j’en aurai l’occasion, j’irai les distribuer au Sénégal. Des amis m’accompagneront pour jouer des concerts aux prisonnières. On ne se rend pas compte des conditions dans lesquelles vivent ces femmes. Elles doivent parfois attendre dix ans avant de pouvoir être jugées. Il faut leur rendre un peu de dignité », explique Nancy.
L’identité par la culture
Pour se faire connaitre, Nancy organise des événements dans son restaurant : des anniversaires, mais aussi des soirées, des concerts et des festivals. Parce que Matonge, ce n’est pas qu’un quartier commercial c’est aussi et surtout un quartier culturel. De nombreux restaurants proposent des concerts, des musiciens jouent au djembé dans les gares à proximité et les œuvres de plasticiens d’origine africaine sont exposées dans les espaces publics. Comme à Kuumba, la maison africaine flamande. Ce lieu, financé par la communauté flamande de Belgique, est un espace d’informations, de rencontres et de culture. Jeroen, le fondateur de la maison en a eu l’idée au cours d’un voyage humanitaire à vélo à travers l’Afrique. « Les vendeurs de fruits exotiques et de Wax ne suffisent pas à donner à cet endroit l’essence d’un quartier africain. Pour rassembler les gens, il faut passer par la culture c’est pour cela que j’ai fondé cette maison », explique-t-il. « Ici, nous proposons aux gens de suivre des cours de Néerlandais, de Swahili de Lingala et de Kikongo. Nous montons aussi des expositions, nous proposons de la nourriture africaine, des concerts et des réunions-débats, tout ce qui peut être motif à rassembler les habitants de ce quartier ». Car au final, c’est cela Matongé, une réunion culturelle et commerciale entre des personnes d’origines différentes, dont les histoires se croisent.
Morgane Wirtz