Avril 2015
Josmick !, José Quenium ou Rasta, trois noms pour une seule personne. Cet artiste d’origine béninoise a installé sa galerie dans un quartier touristique de Niamey, au Niger. À l’ombre de son atelier, il travaille et récupère les matériaux en rêvant de Picasso.
À Niamey, sur la rue Mohammed V, à proximité du carrefour avec l’avenue Maurice Delens, vous trouverez un gros éléphant. Placé entre les marchants de lits en métal et les tailleurs de pierre, le monument fait plus de deux mètres de haut. Il s’appelle Simba et marque l’entrée de la « galerie Josmik ». Du bois, de la tôle ondulée et quelques morceaux de treillis composent cet atelier. Entre des centaines de tableaux de toutes les couleurs, des statues d’oies et une table suspendue couverte de sculptures, vous trouverez Rasta. Vêtu de son éternel boubou béninois et d’une casquette à carreaux, l’artiste de 37 ans vous accueillera d’un grand sourire. « Ce n’est pas souvent que l’on croise des touristes par ici ! » Si vous prenez le temps de boire un thé avec lui, il vous racontera le temps ancien. Ce temps où les expatriés étaient nombreux à Niamey et où le tourisme se développait. « Une Suisse m’avait aidé à construire un atelier en branches de mil. Les gens se pressaient dans ma galerie. Ils payaient pour prendre des photos de leurs enfants sur l’éléphant. La plupart de mes œuvres étaient exposées sous verre ou sur cadre… » Et puis une nuit, une nuit tragique d’octobre 2012, un incendie accidentel détruit tout le travail accompli. « J’ai dû tout recommencer. Construire un nouvel atelier, rétablir un nouveau stock d’œuvres. J’ai perdu 160 toiles cette nuit-là. En un rien de temps… Depuis je n’ai plus la même relation avec mon travail ».
L’accident n’a pourtant pas découragé l’artiste. Il faut dire que pour celui qu’on appelle officiellement José Quenium, « Josmick ! » dans le milieu, et Rasta pour les intimes, être artiste était un rêve d’enfant. « Mon père était un passionné de Picasso. Il avait un tableau à la maison… ou un poster je ne sais pas… Mais ça m’a beaucoup marqué. Quand j’étais petit, j’avais le don du dessin et j’ai toujours voulu être comme ce Monsieur. Mes sœurs m’ont introduit au centre culturel franco-nigérien. Là, j’ai été initié aux dessins de bandes dessinées. Je ramenais des Lucky Luke, des Spirous et des Tintin à la maison et je m’exerçais à la reproduction. J’aimais déjà beaucoup faire des portraits ».
Artiste de la récupération
Les portraits. Aujourd’hui, Rasta en produit beaucoup. Il trouve son inspiration dans les gens qui travaillent aux alentours du carrefour. Dès qu’un visage l’inspire, il sort son cahier à croquis. En quelques coups de crayon, l’esquisse est finie. Il se retire alors dans son atelier et utilise ses matériaux pour représenter ces femmes peules qui vendent du poisson, cette autre, touarègue, à l’air triste et Mohammed, cet enfant qui mendie auprès des voitures. « Je fais de l’art contemporain et je travaille beaucoup avec la récupération. J’achète une partie des matériaux dont j’ai besoin et j’en récupère une autre. Chez nous, c’est une poubelle. Parfois, je n’ai qu’à me baisser pour trouver de quoi nourrir mes tableaux. Par exemple, mon frère est maroquinier et il jette beaucoup de cuir. Quand je vois que ces chutes pourraient avoir une autre vie, je les récupère et les utilise pour donner du relief à mes toiles. Sur mes tableaux, vous trouverez des bijoux, des tissus, des morceaux de sac de jutes, toutes ces choses qui ont été abandonnées par d’autres ».
Cette technique a fait l’objet de beaucoup de curiosités dans le quartier. Parfois, en arrivant à l’atelier le matin, Rasta retrouve ses toiles scarifiées par des petits curieux qui cherchent à comprendre la façon dont il procède pour arriver à cet effet. « J’ai ma propre technique. J’ai appris en France à utiliser les matériaux. Par exemple pour créer mes couleurs, j’achète différents types de sables dans un quartier de Niamey et j’arrive à en tirer quatre ou cinq pigments différents. Pour le reste, comme le bleu et le rouge, je suis obligé d’aller chez Mercure. C’est un peu cher, mais c’est le seul magasin de la ville où on peut trouver de la gouache ou de la peinture à l’huile. Mais pour savoir comment je travaille, il suffit de le demander. Ce n’est pas nécessaire de détruire mon travail pour le découvrir ».
Paris, Lampedusa et Abomey
Rasta ne se contente pas de représenter les passants. Il peint aussi des paysages parisiens, des scènes de bars, des représentations de Lampedusa… Son travail témoigne de ses nombreux voyages et de son intérêt pour les relations entre l’Europe et l’Afrique. Puis, il y a aussi les tableaux des rois du Bénin. «Je suis d’origine béninoise. Mon père a travaillé 35 ans au Niger et c’est ici que sont nés mes grands frères et sœurs. Moi, l’avant-dernier de la famille j’ai vécu au Bénin jusqu’à mes deux ans. Je me suis toujours intéressé à l’histoire du Dahomey. Mes parents et mes professeurs me l’enseignaient. Puis je suis allé à Abomey, la capitale du royaume du Dahomey. C’est là, au grand musée, que j’ai recueilli des informations sur les seize rois du Bénin. Je reprends leurs symboles et les proverbes qui leur sont associés dans mes peintures. C’est ma manière de créer un livre ».
Aujourd’hui, l’insécurité a découragé les touristes à se rendre à Niamey. Et les artistes doivent souvent faire preuve d’ingéniosité pour pouvoir joindre les deux bouts ; « Je travaille dans la publicité. Je fais des fresques pour les restaurants, les écoles, etc. J’aimerais aussi ouvrir un restaurant dans mon atelier. J’ai déjà l’emplacement avec mes toiles accrochées. Je pourrais rajouter quelques chaises et des tables et faire de la restauration… Mon rêve ce serait de réussir. De devenir un jour un grand Monsieur comme Picasso ou Van Gogh… de pouvoir écouler mes produits… et puis d’avoir une vie de famille. Une vie de couple je veux dire… avoir une quelqu’une avec qui créer une famille ». À cette pensée, Rasta soupire et reprends son ouvrage. Aujourd’hui, il fabrique des colliers. Il a trouvé un stock de perles qu’il aimerait écouler.