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Promenade à Matonge

 

À quelques pas du centre de Bruxelles se trouve Matonge, un quartier principalement habité par des personnes originaires d’Afrique subsaharienne. Coiffeurs, vendeurs de fruits et légumes, restaurateurs, musiciens et professeurs de langue cohabitent ici. Tous ont leurs propres origines et des projets différents, mais c’est ici que leurs histoires se croisent.

Le Nouveau Continental – Décembre 2015

Chez papys, Mimi élégance, Précieuse, Bana Congo et L’étoile d’Afrique. Ces différents coiffeurs sont tous rassemblés au sein d’une même galerie en Belgique, à Bruxelles. Ils constituent ce que l’on pourrait appeler « le cœur de Matonge », quartier africain de la capitale européenne. C’est dans ce lieu que se rassemblent les habitants des environs. Éclairés par de vieux néons, ils se font coiffer en débattant des derniers potins, de leurs projets ou de la situation politique de tel ou tel pays. Presque tous ces salons sont de petite taille, mais remplis de clients. Cela n’empêche pas des coiffeuses de se poster à l’entrée de leur boutique pour y inviter les passants. J’accompagne une amie qui souhaite se faire poser une tresse. Dès qu’elle approche de la boutique, on lui trouve un vieux tabouret et on s’empresse de répondre à sa demande. Le sol est jonché de cheveux et, sur les murs, différents modèles d’extensions capillaires sont exposés.

Cinq minutes plus tard, le souhait de mon amie est exaucé. Elle a eu droit à une belle tresse et à trois perles pour la somme non dérisoire de dix euros.

Nous remercions la coiffeuse et nous apprêtons à quitter la galerie. Juste avant la sortie de ce couloir sombre, quelques peintures aux couleurs vives ont étées posées sur les murs. Elles glorifient Matonge et la “porte de l’amour”. C’est ainsi que les habitants ont rebaptisé la porte de Namur, un carrefour important dans cette partie de Bruxelles.

 

Quartier de Kinshasa

 

Ce secteur de la ville porte son nom en référence au quartier Matonge, dans la commune de Kamalu à Kinshasa. À Bruxelles, on y trouve la Maison africaine, aussi appelée « Maisaf ». Ce foyer accueille des étudiants principalement originaires d’Afrique subsaharienne. Selon plusieurs habitants, la maison serait à l’origine de l’établissement de la communauté africaine dans ce quartier. Mais Michelle Nicolay, assistante sociale à la Maisaf ne croit pas vraiment en cette théorie. « La Maison africaine a été fondée en 1961, quelque mois après l’indépendance de la République Démocratique du Congo (appelée Congo Belge à ce moment-là). Au départ, la Maisaf était installée à Saint-Gilles, une autre commune de Bruxelles. Ce n’est qu’en 1970, que nous avons déménagé pour installer le foyer dans ce quartier. Les étudiants ont sans doute facilité l’installation d’une culture et de commerces africains ici, mais je ne pense pas que cela ait un lien direct avec la fondation de Matonge ».

Aujourd’hui, la Maisaf abrite près de 70 étudiants. La majorité d’entre eux vivent dans une chambre individuelle et ont accès à des cuisines et à des douches collectives ainsi qu’à une bibliothèque. « Le montant du loyer varie d’un étudiant à l’autre. Il paiera moins s’il n’est pas boursier ou si sa chambre est plus petite que les autres. Mais toutes charges comprises, le loyer est de maximum 350 euros », explique Michelle Nicolay. « Les habitants de la maison sont majoritairement burundais, camerounais et congolais. Près de vingt nationalités sont représentées à la Maisaf. Cela ne crée pas de tensions particulières. Parfois, des discussions ont lieu entre des ressortissants de pays en guerre, le ton peut monter, mais cela ne dégénère jamais. L’intention n’est jamais mauvaise », précise l’assistante sociale.

 

Insécurité

 

Matonge est effectivement un quartier connu pour son aspect cosmopolite. En l’espace de quelques rues, on trouve des ressortissants de tous les coins d’Afrique, mais aussi d’Asie, d’Amérique latine et d’Europe. Dans le passé, cet aspect multiculturel a provoqué des affrontements et des manifestations. Au cours de l’hiver 2011 – 2012, par exemple, le quartier a fait couler beaucoup d’encre dans les médias. Des manifestants en colère ont perturbé l’ordre public. Ils souhaitaient dénoncer la situation en République Démocratique du Congo.

Aujourd’hui, le quartier garde une étiquette de secteur peu sécurisé et de paradis des narcotrafiquants. Pour les habitants, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. « Il n’y a pas plus de drogue ici que dans d’autres quartiers de Bruxelles et la nuit, je me sens en sécurité. Bien plus que dans les stations de métro ou que dans le centre-ville. Et puis, il y a un commissariat installé juste à côté maintenant », explique une habitante. « Ce que j’aime à Matonge, c’est que je me sens en Afrique », confie une nouvelle habitante. « J’aime cet aspect multiculturel et je me sens en sécurité. Mais le problème c’est que les gens d’ici sont hypocrites et jaloux. Souvent ils me mettent des bâtons dans les roues. Nous, les africains, nous ne nous aimons pas entre nous. Nous pourrions créer ensemble quelque chose comme l’Union européenne. Mais tout ce que nous avons fait jusqu’à présent, l’Union africaine, la CEDEAO (Communauté des États d’Afrique de l’Ouest) ne s’avèrent pas très efficaces. Nous parlons avec tout le monde parce que nous sommes commerciaux, mais dans le fond, chacun d’entre nous met des barrières », poursuit-elle.

 

Un quartier multiculturel

 

Si la mixité de Matonge peut créer des tensions, elle est aussi considérée comme une grande richesse. Comme aujourd’hui par exemple, où l’hiver s’installe progressivement à Bruxelles et où peu de gens restent dans la rue. Les échoppes de fruits et légumes exotiques se font rares, les vendeuses se terrent au fond des boutiques de Wax et même si les terrasses des cafés et des restaurants sont sorties, elles restent vides. Pourtant, je parviens à trouver quelques courageux qui se sont installés dehors pour boire une bière en fumant une cigarette. C’est à cette table que je rencontre Li, originaire du Sénégal. Il discute en passant de l’anglais au français avec deux amis : Dave, d’origine nigériane et African, de Guinée Conakry.

Li se considère comme le « doyen de la communauté sénégalaise de Matonge ». Cela va faire 46 ans qu’il vit dans le quartier avec sa copine. Après la guerre d’Algérie, il s’est installé à Paris et est venu vivre en Belgique quelques années plus tard. « Ici, tout le monde me connait. J’ai vu le quartier évoluer. Cela ne me plait pas… ».  « Le problème de Matonge, c’est que tout le monde considère cet endroit comme un quartier des gens d’en bas », renchérit Dave. « Mais ce n’est pas cela. Matonge n’est pas un ghetto. Selon moi, Matonge est un endroit ou tout le monde est libre. Chacun peut se comporter comme il le souhaite. À Matonge, un chef d’État pourrait se promener librement et profiter pour quelques heures d’une vie normale », explique-t-il.

 

Aller-Retour

 

Dave est né au Royaume-Uni sous le nom de Prince Afolabi Dave Obasuyi. Quelques années après sa naissance, ses parents sont retournés vivre au Nigeria. C’est là qu’il a grandi, à Lagos. Après avoir fini ses études, il devint ingénieur. « C’est le travail qui m’a amené en Belgique. Au départ, j’aurais préféré aller à Londres, mais j’ai atterri à Bruxelles. Aujourd’hui, je travaille entre la Belgique et le Royaume-Uni », explique-t-il. « Les premières semaines ici ont été vraiment difficiles. Je n’avais qu’une envie : m’enfuir et retourner au Nigeria. Les Belges ne sont pas comme les Africains. Ils sont renfermés sur eux-mêmes. Personne ne se connait et souvent les gens avaient peur des étrangers. Aujourd’hui, cette tendance a changé et cela s’est amélioré, mais tout de même, ce n’est pas facile tous les jours », explique-t-il. À présent, Dave pense à retourner au Nigeria. Il souhaite se présenter aux élections de 2019. « Je veux vraiment faire changer les choses dans mon pays. J’ai beaucoup d’ambition et je compte y arriver. Je pense que nous pouvons nous entendre tous ensemble et arriver à faire de grandes choses au Nigeria, qui profiteraient à tous les citoyens », déclare-t-il.

 

Tampons pour toutes les femmes

 

Dans un restaurant non loin de là, à La signare, Nancy, la propriétaire, ne manque pas non plus d’ambition. Originaire du Sénégal, elle est arrivée en Belgique il y a près de quatre ans.

Aujourd’hui, Nancy a créé une association sans but lucratif avec deux femmes belges. L’objectif de leur fondation « Tampon pour toutes les femmes » est de distribuer des serviettes hygiéniques et des tampons dans les prisons pour femmes en Afrique et pourquoi pas, un jour, en Amérique latine. « Au départ j’envoyais chaque année de l’argent à mon oncle qui est régisseur dans des prisons sénégalaises. Aujourd’hui, je veux aller moi même distribuer les protections hygiéniques dans les prisons. J’ai donc un stock de tampons qui est en train de s’accumuler dans ma cave. Quand j’en aurai l’occasion, j’irai les distribuer au Sénégal. Des amis m’accompagneront pour jouer des concerts aux prisonnières. On ne se rend pas compte des conditions dans lesquelles vivent ces femmes. Elles doivent parfois attendre dix ans avant de pouvoir être jugées. Il faut leur rendre un peu de dignité », explique Nancy.

 

L’identité par la culture

 

 Pour se faire connaitre, Nancy organise des événements dans son restaurant : des anniversaires, mais aussi des soirées, des concerts et des festivals. Parce que Matonge, ce n’est pas qu’un quartier commercial c’est aussi et surtout un quartier culturel. De nombreux restaurants proposent des concerts, des musiciens jouent au djembé dans les gares à proximité et les œuvres de plasticiens d’origine africaine sont exposées dans les espaces publics. Comme à Kuumba, la maison africaine flamande. Ce lieu, financé par la communauté flamande de Belgique, est un espace d’informations, de rencontres et de culture. Jeroen, le fondateur de la maison en a eu l’idée au cours d’un voyage humanitaire à vélo à travers l’Afrique. « Les vendeurs de fruits exotiques et de Wax ne suffisent pas à donner à cet endroit l’essence d’un quartier africain. Pour rassembler les gens, il faut passer par la culture c’est pour cela que j’ai fondé cette maison », explique-t-il. « Ici, nous proposons aux gens de suivre des cours de Néerlandais, de Swahili de Lingala et de Kikongo. Nous montons aussi des expositions, nous proposons de la nourriture africaine, des concerts et des réunions-débats, tout ce qui peut être motif à rassembler les habitants de ce quartier ». Car au final, c’est cela Matongé, une réunion culturelle et commerciale entre des personnes d’origines différentes, dont les histoires se croisent.

 

Morgane Wirtz

À l’école des maris

Avril 2015

 

L’arbre à palabre. Un lieu important dans les villages africains où les habitants se réunissent pour discuter, boire du thé, nourrir les enfants ou se coiffer les uns les autres. Au Niger, c’est là aussi que les hommes de nombreux villages se rencontrent deux fois par mois. Ils discutent contraception, préparation à l’accouchement, et polio.

 

« Au Niger, c’est l’homme qui détient le pouvoir de toute chose. C’est lui qui décide si sa femme continuera de faire des enfants ou pas, quels sont les moyens investis pour traiter les problèmes de santé, etc. Ors, tous les programmes dans ce domaine se sont toujours axés vers la femme. Nous avons compris que nous devions sensibiliser les maris plutôt que les femmes pour ces questions », explique Mohammed Haldara, directeur de l’ONG Songes. C’est à partir de ce constat qu’en 2008, Songes a créé l’école des maris, soutenu par le Fond des Nations unies pour la population (UNFPA). Promouvoir l’accouchement assisté, les consultations prénatales et l’élaboration d’un planning familial fait partie des priorités que s’est fixées l’ONG.

 

Centres de santé

 

« Il faut que les femmes accouchent dans les centres de santé », affirme Mohammed Haldara, qui se soucie tant de la santé de la mère que de celle de l’enfant. Mais, dans de nombreux cas, les Nigériennes continuent d’enfanter chez elles. « Elles ne font pas confiance aux sages femmes, qui sont souvent jeunes et préfèrent se tourner vers les matrones. D’autre part, même si elles ont été sensibilisées, les hommes leur interdisent parfois de se rendre au centre. Soit pour des questions d’argent, soit parce qu’ils ne veulent pas qu’un homme touche leur femme, soit parce qu’ils ne comprennent pas l’importance que cela peut avoir », explique le directeur. À cela s’ajoute un esprit de tradition. « Je suis né à la maison, mon père aussi et mon grand-père aussi. Pourquoi mon enfant devrait-il naitre dans un centre de santé ? », rétorquent de nombreux pères de famille à leur épouse.

 

Souvent négligées par les Nigériens, les consultations prénatales sont aussi promues par l’école des maris. Elles permettent de préparer la naissance et d’éviter que l’enfant ne meure pendant l’accouchement. Depuis que son époux fréquente l’école, Nihoussa est obligée de s’y rendre. « Mon mari m’emmenait déjà au centre de santé pour accoucher », explique la jeune femme. « Mais depuis qu’il est à l’école des maris, c’est lui qui prend tous mes rendez-vous de consultations. Il m’oblige à y aller et s’il a trop de travail pour m’accompagner, il envoie toujours quelqu’un à sa place », poursuit-elle.

 

Le taux de fécondité le plus élevé

 

Le taux de fécondité du Niger est le plus élevé du monde avec 6,76 enfants par femmes. « Avoir beaucoup d’enfants, c’est un signe de pouvoir, une richesse », explique Mohammed Haldara. La promotion de la contraception est souvent perçue comme une politique gouvernementale pour empêcher les femmes d’avoir des enfants et lutter ainsi contre l’explosion démographique. « Ce n’est pas l’objectif. Mais pour des questions de santé et de bien-être, il est important d’espacer les naissances d’au moins deux ans. C’est ce que nous expliquons aux maris », poursuit le directeur de Songe.

« En fait, être à l’école des maris cela nous aide à sortir de l’ignorance », explique l’un des étudiants. « Religieusement, la femme est soumise à son mari, mais les hommes abusent souvent de ces responsabilités », poursuit-il.

 

L’écho de la connaissance

 

L’école des maris fonctionne sur le principe d’une chaine. Lorsque Songe arrive dans un village, l’ONG commence par aller à la rencontre les agents de santé, des chefs religieux et du chef de village pour leur exposer son projet. Ceux qui sont intéressés sont appelés à s’inscrire. Douze d’entre eux sont ensuite sélectionnés pour devenir des « maris modèles ». « Ce sont eux qui porteront les couleurs de l’école des maris, des badges, des sacs, des vestes à l’effigie de l’école », précise un étudiant. Les « douze » se rencontrent deux fois par mois en présence d’un coach et identifient les problèmes liés à la santé de la reproduction et débattent des solutions. Ensuite, chacun d’entre eux se rend les maisons des villageois installés dans un cercle de sept kilomètres pour rendre compte de ce qui a été discuté.

« L’école des maris cela permet de changer les préjugés », explique la femme d’un mari membre. « Avant les autres me regardaient de travers parce que je prenais la pilule. Maintenant, je ne me cache même plus pour aller la chercher ! », renchérit Aissa Doulla, elle aussi épouse d’un « mari – modèle ». L’association permet effectivement de lever de nombreux tabous dans les villages nigériens et de décomplexer les couples. Cette manière de sensibiliser aux questions de santé remporte un franc succès. Aujourd’hui, des écoles des maris ont été installées dans plus de mille villages nigériens. L’idée commence même à s’exporter et certaines écoles sont en expérimentation au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Togo et au Nigeria.

Ces apothicaires qui ne rentrent pas dans leurs comptes

Janvier 2014

Elles se démarquent des décorations de Noël. La ville entière est illuminée, mais les croix vertes insistent. C’est presque comme si elles nous appelaient vers elle. Les pharmacies. Si vous ouvrez les yeux, vous vous rendrez compte qu’elles sont partout. Il y a celle où vous vous rendez d’habitude, mais il y en a une autre 50 mètres plus loin aussi et une troisième en bas de la rue. Comment font-elles pour survivre?

La Belgique possède l’un des réseaux de pharmacies les plus denses d’Europe. D’après Charles Ronlez, porte-parole de l’Association Pharmaceutique Belge (APB), il y a un plus de pharmacies que nécessaire dans les centres urbains. « Sur l’ensemble du territoire, il y a une pharmacie pour 2000 habitants, à Bruxelles il y en a une pour 1300 habitants. C’est pourquoi on assiste à une accélération de la fermeture d’officine dans les villes ». En effet, plus de 250 pharmacies ont fermé leurs portes au cours de ces quinze dernières années. « Si je suis toujours là dans dix ans, soyons optimistes, certains de mes concurrents auront disparu», affirme un pharmacien du centre-ville.

Une loi de répartition établit les bases démographiques selon lesquelles l’ouverture d’une pharmacie est permise. Si l’on s’y tient, il faudrait qu’il n’y ait que 56 pharmacies dans la Ville de Bruxelles. Pourtant, on peut en compter près de 105. « Depuis que cette loi est entrée en vigueur, en 1974, on n’a fermé aucune pharmacie, on n’a juste pas permis l’ouverture de certaines d’entre d’elles. À ce moment-là, il y avait plus de population dans les grandes villes. Aujourd’hui, les gens ont déménagé en périphérie », explique Charles Ronlez.

Une rémunération sur base du conseil

Chaque jour, un Belge sur vingt franchit le seuil d’une pharmacie. Le budget moyen consacré par un citoyen aux produits de santé est de près de 500 euros par an.

Le chiffre d’affaires des pharmaciens se fait en grande partie sur les médicaments sous prescription. Les médicaments en vente libre et les produits parapharmaceutiques constituent près de 30 % du chiffre des officines belges.

Les préparations que les pharmaciens réalisent eux-mêmes dans leurs officines constituent une partie minime de ce chiffre. « Souvent, ce sont les industries qui font des produits maison et qui nous proposent de mettre une étiquette dessus avec le nom de notre officine », nous apprend une pharmacienne. Charles Ronlez confirme cette information. « Certaines pharmacies ont recours à ce procédé, mais elles sont marginales. Ce n’est pas très éthique ».

 

On assiste aujourd’hui à une baisse du prix des médicaments. Pour éviter que la rentabilité du pharmacien ne soit liée au prix du médicament, un nouveau système de rémunération a été mis en place en 2010. Aujourd’hui, 80 % de la rémunération du pharmacien ne dépend plus du prix des médicaments qu’il délivre. Mais selon une pharmacienne indépendante, ce système n’est pas parfait. « Plus le médicament est cher et moins on y gagne. Prenez par exemple la Trithérapie sida qui coute 2500 euros. Le patient paye ce médicament 3 euros et c’est à moi d’avancer l’argent jusqu’à la fin du mois. Pour éviter cela, certains pharmaciens disent qu’ils ne peuvent pas obtenir ce médicament. C’est tout simplement parce qu’ils n’y gagnent rien ! »

Jeu d’alliances

Le monde des pharmacies est devenu de plus en plus concurrentiel. 12 % des officines appartiennent aujourd’hui à de grands groupes auxquels les indépendants essayent de faire face. Multipharma est le premier réseau de distribution pharmaceutique en Belgique et compte 250 officines. « On bénéficie de réductions puisqu’on achète nos produits en gros. On a aussi une facilité à trouver les produits ou à les écouler en faisant des échanges avec les autres pharmacies de notre groupe », affirme un pharmacien de Multipharma. Selon Charles Ronlez, « Les grands groupes peuvent jouer sur les volumes de vente et la parapharmacie. Mais le pharmacien indépendant a toujours sa carte à jouer. Il a un service de proximité, une petite structure et il mise sur le conseil. »

« Le problème c’est aussi que les normes (d’hygiène, de Température des frigos, de distribution…) sont de plus en plus sévères et que pour y répondre il faut être un grand groupe. On vise la fin du petit indépendant», déclare un pharmacien.

Pour faire face à cette pression, certains indépendants ont décidé de se rassembler pour créer des réseaux comme Pharmactiv, Iasis ou Dynaphar. « On est un groupe d’indépendants. On fait des réunions, on suit des formations et on a des produits leaders. Ce sont des produits que l’on conseille plus facilement. On a un avantage sur le prix et l’on a décrété qu’ils étaient plus efficaces », explique une pharmacienne alliée à Dynaphar.

Les techniques des pharmaciens pour faire face à la concurrence sont donc bien différentes d’une officine à l’autre et dépendent surtout de leur éthique. Les croix vertes vous appellent dans la rue. Elles ont l’air identique à première vue, mais chacune d’entre elles se bat pour être rentable, à sa propre manière.

L’artiste de la rue Mohammed V

Avril 2015

Josmick !, José Quenium ou Rasta, trois noms pour une seule personne. Cet artiste d’origine béninoise a installé sa galerie dans un quartier touristique de Niamey, au Niger. À l’ombre de son atelier, il travaille et récupère les matériaux en rêvant de Picasso.

À Niamey, sur la rue Mohammed V, à proximité du carrefour avec l’avenue Maurice Delens, vous trouverez un gros éléphant. Placé entre les marchants de lits en métal et les tailleurs de pierre, le monument fait plus de deux mètres de haut. Il s’appelle Simba et marque l’entrée de la « galerie Josmik ». Du bois, de la tôle ondulée et quelques morceaux de treillis composent cet atelier. Entre des centaines de tableaux de toutes les couleurs, des statues d’oies et une table suspendue couverte de sculptures, vous trouverez Rasta. Vêtu de son éternel boubou béninois et d’une casquette à carreaux, l’artiste de 37 ans vous accueillera d’un grand sourire. « Ce n’est pas souvent que l’on croise des touristes par ici ! » Si vous prenez le temps de boire un thé avec lui, il vous racontera le temps ancien. Ce temps où les expatriés étaient nombreux à Niamey et où le tourisme se développait. « Une Suisse m’avait aidé à construire un atelier en branches de mil. Les gens se pressaient dans ma galerie. Ils payaient pour prendre des photos de leurs enfants sur l’éléphant. La plupart de mes œuvres étaient exposées sous verre ou sur cadre… » Et puis une nuit, une nuit tragique d’octobre 2012, un incendie accidentel détruit tout le travail accompli. « J’ai dû tout recommencer. Construire un nouvel atelier, rétablir un nouveau stock d’œuvres. J’ai perdu 160 toiles cette nuit-là. En un rien de temps… Depuis je n’ai plus la même relation avec mon travail ».

L’accident n’a pourtant pas découragé l’artiste. Il faut dire que pour celui qu’on appelle officiellement José Quenium, « Josmick ! » dans le milieu, et Rasta pour les intimes, être artiste était un rêve d’enfant. « Mon père était un passionné de Picasso. Il avait un tableau à la maison… ou un poster je ne sais pas… Mais ça m’a beaucoup marqué. Quand j’étais petit, j’avais le don du dessin et j’ai toujours voulu être comme ce Monsieur. Mes sœurs m’ont introduit au centre culturel franco-nigérien. Là, j’ai été initié aux dessins de bandes dessinées. Je ramenais des Lucky Luke, des Spirous et des Tintin à la maison et je m’exerçais à la reproduction. J’aimais déjà beaucoup faire des portraits ».

Artiste de la récupération

Les portraits. Aujourd’hui, Rasta en produit beaucoup. Il trouve son inspiration dans les gens qui travaillent aux alentours du carrefour. Dès qu’un visage l’inspire, il sort son cahier à croquis. En quelques coups de crayon, l’esquisse est finie. Il se retire alors dans son atelier et utilise ses matériaux pour représenter ces femmes peules qui vendent du poisson, cette autre, touarègue, à l’air triste et Mohammed, cet enfant qui mendie auprès des voitures. « Je fais de l’art contemporain et je travaille beaucoup avec la récupération. J’achète une partie des matériaux dont j’ai besoin et j’en récupère une autre. Chez nous, c’est une poubelle. Parfois, je n’ai qu’à me baisser pour trouver de quoi nourrir mes tableaux. Par exemple, mon frère est maroquinier et il jette beaucoup de cuir. Quand je vois que ces chutes pourraient avoir une autre vie, je les récupère et les utilise pour donner du relief à mes toiles. Sur mes tableaux, vous trouverez des bijoux, des tissus, des morceaux de sac de jutes, toutes ces choses qui ont été abandonnées par d’autres ».

Cette technique a fait l’objet de beaucoup de curiosités dans le quartier. Parfois, en arrivant à l’atelier le matin, Rasta retrouve ses toiles scarifiées par des petits curieux qui cherchent à comprendre la façon dont il procède pour arriver à cet effet. « J’ai ma propre technique. J’ai appris en France à utiliser les matériaux. Par exemple pour créer mes couleurs, j’achète différents types de sables dans un quartier de Niamey et j’arrive à en tirer quatre ou cinq pigments différents. Pour le reste, comme le bleu et le rouge, je suis obligé d’aller chez Mercure. C’est un peu cher, mais c’est le seul magasin de la ville où on peut trouver de la gouache ou de la peinture à l’huile. Mais pour savoir comment je travaille, il suffit de le demander. Ce n’est pas nécessaire de détruire mon travail pour le découvrir ».

 

Paris, Lampedusa et Abomey

Rasta ne se contente pas de représenter les passants. Il peint aussi des paysages parisiens, des scènes de bars, des représentations de Lampedusa… Son travail témoigne de ses nombreux voyages et de son intérêt pour les relations entre l’Europe et l’Afrique. Puis, il y a aussi les tableaux des rois du Bénin. «Je suis d’origine béninoise. Mon père a travaillé 35 ans au Niger et c’est ici que sont nés mes grands frères et sœurs. Moi, l’avant-dernier de la famille j’ai vécu au Bénin jusqu’à mes deux ans. Je me suis toujours intéressé à l’histoire du Dahomey. Mes parents et mes professeurs me l’enseignaient. Puis je suis allé à Abomey, la capitale du royaume du Dahomey. C’est là, au grand musée, que j’ai recueilli des informations sur les seize rois du Bénin. Je reprends leurs symboles et les proverbes qui leur sont associés dans mes peintures. C’est ma manière de créer un livre ».

Aujourd’hui, l’insécurité a découragé les touristes à se rendre à Niamey. Et les artistes doivent souvent faire preuve d’ingéniosité pour pouvoir joindre les deux bouts ; « Je travaille dans la publicité. Je fais des fresques pour les restaurants, les écoles, etc. J’aimerais aussi ouvrir un restaurant dans mon atelier. J’ai déjà l’emplacement avec mes toiles accrochées. Je pourrais rajouter quelques chaises et des tables et faire de la restauration… Mon rêve ce serait de réussir. De devenir un jour un grand Monsieur comme Picasso ou Van Gogh… de pouvoir écouler mes produits… et puis d’avoir une vie de famille. Une vie de couple je veux dire… avoir une quelqu’une avec qui créer une famille ». À cette pensée, Rasta soupire et reprends son ouvrage. Aujourd’hui, il fabrique des colliers. Il a trouvé un stock de perles qu’il aimerait écouler.

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Sur la route des Woodabés

Avril 2015

C’était un dimanche après-midi pendant la saison sèche. Indo marchait à Château 1, quartier touristique de Niamey. Le long de la route goudronnée, les artisans, les marchants de pintades et les vendeurs de cigarettes le saluaient. Ce grand peul, vêtu d’un magnifique boubou bordeaux et d’un magistral chech blanc cherchait quelqu’un à qui vendre ses bricoles. Son sac en était rempli : broderies, bracelets, khôl traditionnel et objets anciens. C’est ainsi que je l’ai rencontré. Je buvais un thé avec son frère lorsqu’il a demandé à se joindre à nous et m’a proposé de lui acheter une théière décorée de cercles d’argent. « Nous, les Woodabés, nous décorons nous même nos théières. Chaque année, nous faisons des concours pour déterminer la plus belle d’entre toutes », déclara-t-il. Les Woodabés constituent le peuple peul majoritaire au Niger. On les appelle aussi les Borroros. « Mais cela, ça ne nous fait pas plaisir », m’expliqua Indo. « Borroro c’est une race de vache ! ».

À l’origine, les Woodabés sont un peuple nomade. Mais aujourd’hui, la sècheresse en oblige plusieurs à venir s’installer à Niamey. Ils y vendent des bijoux pendant plusieurs mois puis retournent en brousse pour apporter de l’argent à leur famille. En attendant d’avoir gagné suffisamment, ils vivent dans la périphérie de la ville.

Quelques mois sur trois paillasses

Indo, lui, habite avec des amis à Koubia Kayna, devant une maison non achevée. « La maison est occupée par des Zarma. Nous, nous n’avons pas assez d’argent pour payer un loyer alors nous vivons dehors », m’explique Indo en me montrant le lit de camp et les trois paillasses qui constituent leur unique mobilier. Indo vit là avec une vingtaine de personnes et quelques poules. « Avant, aucun peul ne vivait dans la ville », m’explique un vieillard. « Si un enfant entendait une voiture, il avait peur et partait se réfugier dans la forêt. Ici, il y a trop de bruit pour nous et pas assez de liberté ». « Nous avons vu la sècheresse décimer nos troupeaux », renchérit un chef de village de passage pour vendre quelques bijoux. « Quand j’étais petit, les plus pauvres d’entre nous possédaient une centaine de vaches. Aujourd’hui, ils n’en ont plus que dix », poursuit-il.

Lorsqu’Indo aura amassé assez d’argent pour acheter une bête et payer le voyage du retour, il retournera retrouver sa famille, en brousse.

En attendant l’école

C’est à Assakamar, que les deux femmes d’Indo et ses enfants l’attendent. Ce « village » est constitué d’une école, de trois maisons vides et de quelques tentes le long du goudron. La ville la plus proche est à 90 kilomètres de là. Les Woodabés ont commencé à se sédentariser à moitié pour que les enfants puissent aller à l’école. « Une partie de notre groupement vit ici avec les enfants pendant que les autres marchent de pâturage en pâturage pour nourrir le bétail », m’explique le chef de village. « En attendant le retour des autres, nous tissons des tapis, créons des bijoux et décorons des calebasses », ajoute Ténéré, la première femme d’Indo. Une partie de ces objets sera vendue à Niamey, l’autre sera présentée lors des concours. « Nous faisons beaucoup de concours entre Woodabés : celui de la plus belle calebasse, de la plus belle décoration, des plus belles tresses, etc. », poursuit la jeune femme.

L’amour à la woodabée

Ces concours s’organisent souvent pendant la cure salée, à la fin du mois de septembre. Pendant deux semaines, Touaregs et Woodabés se rassemblent dans la région d’Agadez pour nourrir le bétail de sel. C’est aussi à ce moment-là que de nombreux mariages sont arrangés et célébrés. « Lorsqu’une famille veut marier sa fille, ils s’arrangent avec les parents d’un jeune homme. Chacun offre un animal comme un bœuf ou un mouton. Au cours du mariage, les animaux sont offerts et consommés à la gloire des époux », explique Indo. Une fois la cérémonie terminée, la jeune fille partira avec la famille de son nouvel époux. Mais beaucoup de Woodabés se marient aussi par amour. C’est le cas de Ténéré et d’Indo. Ils se sont rencontrés lors d’une cérémonie et se sont aimé pendant plusieurs mois avant de se marier. Ténéré n’a jamais enfanté. C’est pour cette raison qu’Indo s’est marié une seconde fois. Sa deuxième femme, Labi Sali, lui a donné cinq enfants.

La nuit tombe sur le campement et nous nous rassemblons pour boire un thé. « À la saison sèche, ce sont les hommes qui préparent le thé », m’explique Indo. « Les femmes ont trop de travail maintenant. Elles doivent partir tous les matins avec les ânes pour aller puiser de l’eau. À la saison des pluies par contre, ce sont elles qui le préparent. La vie émerge de partout en même temps et les femmes ont plus de temps à nous consacrer ».

Après le repas, Indo m’apprend le nom des étoiles. Les Woodabés en ont un pour chacune d’entre elles. Elles leur permettent de se diriger dans la brousse ou le désert, mais aussi de connaître la date, l’heure ou le nombre de jours avant la saison des pluies.

Au festival de l’Aïr

Je retrouve Indo quelques jours plus tard, au festival de l’Aïr. Ce festival a été créé il y a 15 ans par un chef de la rébellion touarègue. L’objectif était de promouvoir une culture qui était sur le point de disparaître. « Nous, les Woodabés aimons beaucoup nous rendre au festival de l’Aïr », m’explique Mouhamadou, un festivalier. « C’est une rencontre culturelle où nous pouvons aussi nous exprimer et puis cela nous permet de revoir des parents que nous n’avons plus vus depuis un ou deux ans ».

Mouhamadou me montre les campements peuls sur le site. Les Woodabés sont là, occupés à se préparer dans des dizaines de tentes multicolores. Des fils à linges ont été installés entre les arbres, et devant chaque tente, un tapis, sur lequel les hommes discutent en préparant du thé. Beaucoup de jeunes hommes repassent en vitesse au camp, pour rajuster une plume à leur turban ou remettre du maquillage. Car, juste à côté de là, loin des cérémonies officielles, les Woodabés ont organisé une dance des yeux. Une petite centaine de jeunes hommes forment un cercle. Ils sont réunis par groupement et se distinguent par leurs vêtements et leur maquillage. Certains ont le visage recouvert de pigments jaune ou orange. D’autres ont fait ressortir certaines parties de leur visage au khôl. « L’objectif, c’est de faire ressortir la blancheur de leurs dents et de leurs yeux », m’explique Mouhamadou. « Tu vois, ils chantent en tapant des mains et les jeunes filles passent entre eux pour élire le plus beau. Tu peux être sûre qu’il rentrera bien accompagné ce chanceux ! », ajoute-t-il.

À la fin du festival, les Woodabés rentreront chacun de leur côté. Direction Niamey, le village ou les pâturages, à chacun sa besogne, à chacun son rôle.